De la prière à la méditation
Titre |
De la prière à la méditation : une mystique
plurireligieuse |
Lieu / Dates |
Genève : Labor et Fides, 2004 |
Collation |
234 p. ; 21 cm |
Collection |
Petite bibliothèque de spiritualité |
ISBN |
2-8309-1137-7 |
Ce livre est le fruit de recherches et de réflexions suggérées
par un thème de conférence proposé par les
responsables de l'Arzillier, lieu de rencontres œcuméniques et
interreligieuses à Lausanne : Prière et méditation
dans les religions. La conférence elle-même ne fut qu'une
première esquisse, provisoire et lacunaire, de l'immensité
du sujet, mais elle a déclenché l'envie de l'approfondir et
de tenter une présentation un peu plus pénétrante des
données qui différencient et unissent entre elles la prière
et la méditation.
Les termes de « prière » et de « méditation »
renvoient à deux types d'activités ou d'attitudes
religieuses ou spirituelles. On énonce souvent ces termes, prière
et méditation, d'un seul souffle, comme deux choses jumelées,
sans qu'on sache exactement comment les distinguer. On a vaguement
l'impression que les deux forment un tout ou qu'elles sont très
proches l'une de l'autre. On sent peut-être confusément que
la prière est une sorte de méditation, comme d'autre part la
méditation apparaît liée à une certaine manière
de faire sa prière. Les deux notions semblent baigner dans un flou
douillet qui les embrasse doucement et qui fait qu'il est difficile de
s'entendre et de savoir exactement à laquelle des deux un
interlocuteur pense. Nous verrons que cette imprécision dans
l'emploi des deux termes est compréhensible, peut-être inévitable,
parce que la prière passe imperceptiblement à la méditation
et que la méditation est constamment stimulée et fécondée
par la prière. Prière et méditation ne sont certes
pas identiques, mais elles forment uncontinuum.
Face à ces incertitudes, il est indispensable de définir
aussi clairement que possible le sens général qu'on entend
donner à chacune de ces deux notions, de circonscrire de chacune
d'elles les contours les plus idoines et d'en établir un
« type idéal », d'en dessiner une image idéale qui dans
les faits sera constamment voilée ou modifiée par des
facteurs divers, étrangers à sa nature intrinsèque,
tout en lui conférant une saveur particulière.
Les deux notions s'élaborent effectivement l'une par rapport à
l'autre puisque les deux représentent des variantes d'une relation
fondamentale entre l'être humain et une grandeur autre, invisible,
une Entité supérieure, divine, universelle, une Réalité
ultime ou pénultième.
Comment concevoir la différence entre la prière et la méditation ?
Voici une proposition qui va orienter notre réflexion : à
l'état pur, « idéal », la prière est une
relation dialogique ou duelle, alors que la méditation est unitive,
qu'elle tend vers l'union et qu'enfin de compte elle ne se contente que de
l'union, de l'identité.
Dans la prière, le sujet priant reste distinct du Divin ou de
l'Ultime. Par la prière, il s'adresse oralement ou mentalement à
un/une partenaire qu'il sent peut-être présent/e, très
proche de lui, mais qui est fondamentalement autre que lui. Cet Autre
auquel le sujet parle ou qu'il a dans l'esprit est un « Tu » ou un
« Vous », car la prière s'accomplit en principe dans le
dialogue de l'être humain avec son Ultime. Dans certaines
traditions, surtout dans le bouddhisme, l'Autre est parfois conçu
comme un « Lui », puisqu'on s'adresse souvent indirectement soit
aux Bouddha, soit à la doctrine ou la Vérité ultime.
Nous sommes alors en présence d'une prière qui devient mantra,
c'est-à-dire un ensemble de phonèmes, une parole ou un
discours chargés de puissance sacrée ; elle n'est plus
directement dialogique, elle a perdu de vue le « Tu », mais elle
conserve néanmoins sa nature duelle : le sujet humain et la
grandeur autre, la grandeur nommée « Il » ou « Elle »,
demeurent séparés, ils ne coïncident pas.
La méditation, elle, est unitive, elle tend vers l'union, vers
l'intériorisation de l'Autre, vers la « réalisation »
de l'Entité à laquelle le sujet aspire comme à son
Ultime. Par « réalisation » nous entendons le
surgissement de l'Ultime dans la personne et la vie d'un être
humain, surgissement au cours duquel cet Ultime prend entièrement
possession du méditant, le remplit et le comble, si bien que
l'humain n'apparaît plus que comme une présence de l'Ultime.
Précisons d'emblée que les techniques méditatives de
toutes les traditions religieuses proposent à leurs adeptes une
telle « réalisation » de la grandeur divine ou ultime
qu'ils invoquent, que toutes sont non seulement des voies de prière
mais aussi des formes de méditation unifiante. Il convient en effet
de répéter qu'aucune tradition ne passe à côté
de la nécessité d'offrir à ses adeptes les moyens
d'une « réalisation » de l'Ultime.
Prier ou méditer, c'est faire une expérience de libération
et de liberté ; ce n'est pas s'enfermer dans un carcan de règles
étouffantes. C'est tout au plus, prendre des habitudes et imposer à
son corps et à son esprit des gestes et des attitudes répétitifs
qui, jalonnant le processus mystagogique, facilitent la progression vers
le but ultime. Le but ultime, c'est la réalisation de l'Ultime,
c'est être totalement ce qu'on a toujours été.