L'essence mystique du christianisme
Conférence, 3 décembre 1999, dans le cadre de
l'Artimon (Lausanne)
Introduction
Tout le monde connaît le célèbre aveu de saint Augustin, évêque
de Hippone (354-430), au début de ses Confessions
"Seigneur, tu nous as créés pour toi, et notre coeur est
inquiet en nous jusqu'à ce qu'il repose en toi". C'est une
affirmation d'ordre anthropologique d'une portée considérable.
L'être humain ne trouve sa plénitude qu'en Dieu, c'est-à-dire
dans la Source de toutes choses à Laquelle il doit son existence.
En son état naturel, l'être humain est incomplet ; il lui manque
toujours quelque chose. Il y a en lui une béance qui demande à
être comblée. Cette béance est congénitale. Elle est voulue par
son Créateur, par la Source de la vie qui l'a produite. Et elle ne
saurait être comblée que par la Source de la Vie elle-même.
Nous sommes ainsi faits que nous nous sentons incomplets et que
nous cherchons la Vie qui nous rendra entiers. D'innombrables
chrétiens ont fait écho à l'affirmation de saint Augustin. Elle
est devenu l'expression classique et universelle de la perception
chrétienne de l'être humain. Tous les chrétiens, quelle que soit
leur confession ou leur appartenance ecclésiale, s'y retrouvent.
Par exemple Jean Calvin, fidèle élève du Maître de Hippone. Au
début de son Catéchisme Calvin demande en effet :
"Quelle est la principale fin de la vie humaine ?" Et il
répond : "C'est de connaître Dieu". Notre constitution
naturelle d'êtres humains demande à s'accomplir par et dans la
connaissance de Dieu. Le sens de la vie, c'est d'établir la
communication avec la Source de la vie ; c'est de laisser couler en
nous l'Eau de cette Source ; c'est de plonger dans la Source, c'est
de s'y abîmer.
C'est de ce Plongeon dans la Source de la Vie qu'il va être
question ce soir.
1. Un exemple biblique
J'aimerais commencer par vous rappeler un incident de la vie de
Jésus que nous rapportent les Evangiles. C'est l'histoire
d'un homme riche (l'un des évangélistes ajoute qu'il était jeune)
qui accourt subitement et s'agenouille précipitamment devant
Jésus. Il est poussé par l'urgence d'une question qui le
tourmente : "Bon Maître, que dois-je faire pour vivre
éternellement ?" Le Maître met immédiatement les choses au
point : "Que m'appelles-tu bon ? Nul n'est bon, la bonté ne
réside qu'en Dieu, en l'Etre infini et parfait".
Implicitement, Jésus répond tout de même à la question. Car
demander à vivre éternellement, c'est demander à vivre en Dieu,
c'est chercher l'Origine, la Source de toutes choses. Après cette
mise au point, Jésus relève le défi et engage le dialogue :
"Tu connais la Loi de Dieu", dit-il à l'homme qui vient
de l'interroger, "observe-la, soumets-toi à la volonté de
Celui qui est infiniment bon et qui ne connaît ni début ni
fin !" Recevant cette injonction, notre homme riche ne peut
s'adresser aucun de reproche : la Loi de Dieu, la Thorah,
il l'a respectée depuis son enfance. Par conséquent, son
inquiétude devrait être calmée, car il peut être sûr de vivre
éternellement. Mais non, il n'est pas satisfait. Il y a en lui une
béance qui n'est pas encore comblée. Sa soif de plénitude et
d'éternité n'est pas étanchée. Il sent qu'il lui manque encore et
toujours quelque chose. Mais quoi ? Il lui faut encore quelque
chose pour combler son vide. A ce moment, l'évangéliste Marc fait
une remarque significative : Jésus aime cet homme. Jésus crée un
lien d'amour qui l'unit à cet homme qui cherche l'éternité. Et
Jésus de dire ouvertement ce qui pourrait encore s'ajouter au
respect de la Loi : "Va, vends tout ce que tu as, distribue
l'argent aux pauvres, et suis-moi !" Ce qui comble le vide,
c'est la plénitude de l'Amour qui liera intimement et à jamais
Jésus, la Source de la Vie, et l'être humain qui souffre de sa
béance. Suivre Jésus, s'unir à lui dans la nudité d'une existence
dépouillée... Hélas, l'homme tourne les talons, en tristesse, car
il ne peut pas se séparer de ses biens.
Qu'est-ce que ce récit nous apprend ? Deux choses. Tout d'abord,
que cet homme très riche, mais honnête, impeccable du point de vue
de la Loi, qui possède toute richesse matérielle, sent qu'il n'a
pas encore la plénitude de la vie. Qu'en dépit de son statut
enviable il cherche encore autre chose. Il sait que son coeur est
inquiet en lui, mais il ne sait pas pourquoi. "Que dois-je
faire" se demande-t-il. – Mais ensuite, et surtout, le récit
nous apprend qu'il existe deux types de vie religieuse : celui de
la pratique élémentaire, et celui de la pratique parfaite. Les
deux sont parfaitement valables. Jésus n'en dénigre aucune, il
précise au contraire qu'aux yeux de Dieu la pratique élémentaire
est suffisante. Ce que Dieu souhaite, c'est qu'on se soumette à sa
volonté. Jésus ne condamne pas non plus la richesse. Il agrée
toute personne riche dont le comportement répond aux règles
élémentaires d'une conduite religieuse de la vie. Toutefois, à
côté de la pratique élémentaire Jésus en fait apparaître une
autre, plus intégrale, plus conséquente. Elle consiste à se sentir
aimé de Jésus, à renoncer à tout support matériel de l'existence,
à ne connaître que Jésus en lui accordant une confiance sans
limites, et à se donner totalement à Lui. Si la pratique
élémentaire maintient une certaine distance entre le Divin et
l'être humain, la pratique avancée et parfaite, elle, mène à
l'union. Car Jésus et son disciple totalement dévoué ne finiront
par ne faire plus qu'un.
Il existe donc plusieurs types de pratique religieuse, divers
modes de vie chrétienne, tous légitimes. Ils se distinguent par le
fait que tous ne comblent pas au même degré la béance dans l'âme
de l'être humain.
2. Les niveaux de la pratique religieuse
Voyons cela un peu en détail.
Comment combler le vide qui nous rend incomplets ? Comment
effectuer le plongeon dans la Source qui assurera la plénitude de
notre être ? Comment établir le lien avec la Source de la Vie ? La
réponse des traditions religieuses est unanime : C'est par la
pratique religieuse. Car la pratique religieuse ne se définit pas
autrement : c'est la tentative – et la possibilité ! – de vivre une
relation aussi étroite que possible avec la Source de la vie.
J'ai souvent entendu dire que seuls les faibles ont besoin
d'une pratique religieuse, ceux qui n'arrivent pas à vaincre les
problèmes de la vie par leur propres efforts ou grâce à leur
intelligence, donc les paumés et les demeurés. Nous venons de
préciser que l'être humain en tant que tel, dans son état naturel,
est paumé parce qu'incomplet. C'est pourquoi la pratique
religieuse s'offre à tous. Par le passé, ce sont les meilleurs
parmi les humains qui ont été religieux, qui ont pratiqué le
contact avec la Source. Les institutions religieuses, la
communauté religieuse, l'enseignement que la communauté dispense,
les rites qu'elle exécute, les conseils que donnent ses membres
particulièrement compétents, parce qu'instruits et expérimentés –
tout cela est à disposition de quiconque désire renouer avec la
Source de la Vie. Pratiquer une religion, c'est se servir de
l'institution religieuse afin de s'ouvrir aux épanchements de la
Source.
Or, il y a diverses manières d'utiliser les institutions d'une
tradition religieuse donnée, par exemple chrétienne. A côté des
deux que nous venons d'esquisser, il y en a peut-être encore une
troisième. Mais précisons tout de suite qu'il ne s'agit pas
toujours de types clairement séparés. C'est plutôt un continuum et
le pratiquant passe souvent imperceptiblement de l'un à l'autre.
Pourtant, il semble possible de définir des "types
idéaux" qui permettent de mieux saisir ce qui se passe dans
la vie religieuse.
a) Comme je viens de le faire à propos de l'histoire de l'homme
riche, je nomme le premier type "pratique élémentaire",
ou "pratique générale". C'est la pratique des débutants.
Elle consiste à participer activement aux manifestations de
l'institution chrétienne : à étudier ses enseignements, à
s'intégrer aux activités rituelles – culte, messe –, à prononcer
des prières, à écouter des sermons, à s'engager dans tout effort
apte à promouvoir les valeurs chrétiennes et à administrer les
affaires de la communauté, à respecter ses principes moraux et à
regretter tout écart, bref, à être un chrétien qui essaie de se
conformer aux exigences de l'institution ecclésiale.
A ce niveau-là, niveau élémentaire, la pratique est souvent
considérée comme essentiellement communautaire, voire
communautairement identitaire. On a le sentiment que l'institution
religieuse, notamment la structure paroissiale, ainsi mise en
valeur, sert à affermir les liens qui unissent les membres entre
eux, à approfondir et à cimenter un sentiment d'appartenance, à
stimuler l'entraide des membres en cas de nécessité et à cultiver
des relations d'amitié. Parfois on lui attribue aussi, à juste
titre, une fonction culturelle. Une telle orientation de la
pratique chrétienne, à ce niveau élémentaire, est sans aucun doute
valable ; il faut se garder de la ridiculiser.
Mais au-delà des effets communautaires qu'on vient d'évoquer la
pratique chrétienne élémentaire vise malgré tout encore autre
chose : l'établissement de communications avec la Source de la vie,
avec le Christ. C'est même son premier objectif. Se contenter de
la dimension intra-communautaire, c'est en quelque sorte abuser
des rites, de l'enseignement et de l'organisation ecclésiale.
C'est aussi courir le risque d'être instrumentalisé par les
détenteurs du pouvoir, que ce pouvoir soit d'origine communautaire
ou extracommunautaire. Il faut nuancer et compléter ce regard
introverti et narcissique, assez largement répandu de nos jours,
qui n'a souci que de conserver l'institution et de la tenir bien
au chaud.
Le premier objectif de l'institution est, nous l'avons dit,
d'établir le contact avec le Christ vivant, avec la Transcendance
qui dépasse l'institution tout en s'y manifestant. Par les rites –
messe, culte etc. –, la communauté, répondant à l'invitation du
Christ, Source de la vie, communique avec Lui, s'unit Lui et
s'ouvre à son influence vivifiante. Par l'enseignement, assuré par
des personnes reconnues compétentes, la communauté explicite les
conditions et les modalités de la communication avec la Source, et
lors de la prédication qui déborde le cadre d'un enseignement,
elle va jusqu'à vivre cette communication comme un sacrement.
Quant aux fonctionnaires de la communauté, les diacres, les
pasteurs, les prêtres etc., ils sont les manchons de secours qui
étanchent une conduite avariée qui empêche l'eau de la Source
d'abreuver et de rafraîchir les fidèles.
b) Quand, au niveau élémentaire, le premier objectif de la
pratique religieuse est gardée en vue et que le contact avec la
Source est établi, on peut observer un glissement de la pratique
qui, d'élémentaire qu'elle était, s'approche peu ou prou du
deuxième type : la pratique spécifique qui est celle des
progressants. Elle est spécifique dans le sens qu'elle se détache
de plus en plus des éléments extérieurs et généraux de
l'institution ecclésiale et développe plus spécifiquement l'union
avec les richesses intrinsèques de la Source, du Christ vivant.
Une sélection s'opère parmi les membres de la communauté, le
deuxième type de pratique exigeant un effort presque permanent
d'intériorisation des données extérieures, effort que tous ne sont
pas prêts à consentir.
Pour les pratiquants du deuxième type, la communauté et ses
activités ne sont certes pas superflues, mais vécues d'une autre
manière, plus spirituelle. En fait, la pratique religieuse tout
entière se déroule maintenant essentiellement au niveau du
spirituel. Le lieu de la rencontre avec la Source ne se trouve
plus en un lieu géographique, distinct du pratiquant, dans un
bâtiment appelé sanctuaire, avec son entourage, avec ses
installations. Le temple du Christ se trouve désormais dans
l'intériorité, c'est dans le "coeur" du pratiquant que
la Présence et les bénédictions de la Source se font sentir. Le
Christ lui-même le précise : "Le Règne de Dieu est au dedans
de vous" (Luc 17,21). Les rites sont intériorisés, on les
accomplit en son esprit ; les gestes et les paroles sont exécutés
mentalement ; tout ce qui au premier niveau de la pratique était
visible et palpable, est visualisé avec les yeux de l'esprit et
palpé avec les sens spirituels. Si au niveau élémentaire on
cherchait la Source souvent en dehors de soi, dans une
Transcendance rejetée au loin, on la découvre maintenant au coeur
de notre être et on y goûte comme au fondement de notre existence.
Le Christ, Source de toute vie, jaillit du fond de nous-mêmes.
C'est dire – et c'est là le fait capital du deuxième type de
pratique – que l'optique se renverse. Si au début de la démarche
d'intériorisation l'esprit humain est encore actif, qu'il
contemple le Christ, Source de la vie, comme une sorte d'objet et
que dans son intériorité il met en scène des rites spirituels,
cette attitude active se mue petit à petit en passivité. C'est le
Christ vivant se manifestant au fond de l'être qui le prend en
charge. Ce n'est plus la prière active, formulée ou mentale, qui
anime ou ranime sa relation au Christ, mais la prière passive,
celle que le Christ lui-même, par le Saint Esprit, fait naître
dans l'intériorité du pratiquant. La contemplation active, celle
qui scrute les Réalités ultimes comme on admire un beau tableau,
devient contemplation passive, contemplation pure, absolue,
affranchie de la dualité d'un sujet face à un objet. Plus il
s'abandonne à cette passivité, plus aussi le pratiquant cesse
d'être pratiquant, assumé et remplacé par le Christ vivant, Source
de toute vie.
c) On s'achemine ainsi vers un troisième type de pratique
chrétienne, la pratique qui n'en est plus une, la pratique qui est
absence de pratique, puisque c'est la pratique que le Christ, la
Source de la vie, accomplit dans le chrétien. C'est la pratique de
l'union, c'est l'union tout court. On peut l'appeler "union
mystique", c'est-à-dire cachée, invisible, mais d'autant plus
réelle. Comme l'exprime l'apôtre Paul, s'adressant aux chrétiens
de Colosses : "Vous êtes morts, et votre vie est cachée en
Dieu, avec le Christ" (Col. 3,3). A ce niveau suprême,
au niveau de la Source de toute vie, le chrétien accompli, mystique
caché en Dieu, est effectivement mort à lui-même ; il n'a plus
conscience d'une existence indépendante de la Vie. Il n'est plus
qu'une goutte dans l'Océan d'Amour de la Source, qu'une cellule
vivante intégrée au Corps vivant du Christ, Source de la vie.
"Ce n'est plus moi qui vit, dit l'apôtre Paul, c'est le
Christ qui vit en moi" (Gal. 2,20).
3. Réaliser l'essence mystique du christianisme
Le troisième type de pratique chrétienne, la pratique que le
Christ lui-même accomplit dans le chrétien, doit être considéré
comme l'essence du christianisme. Car comment définir autrement
l'essence du christianisme qu'en la référant au Christ lui-même,
la Source de la vie, le Fondement du toutes choses ? C'est ce que
le mystique chrétien indien, le Sadhu Sundar Singh, a affirmé avec
force : le véritable christianisme, c'est le Christ lui-même. Et à
nous de compléter : l'essence du christianisme, c'est le Christ
vivant, le Christ en qui toutes choses sont créées et qu'elles ont
leur subsistance et leur cohésion, le Christ divin et plus que
divin, le Christ, structure du Cosmos et plénitude originaire de
l'être humain, bref, le Christ théo-cosmo-anthropique. Quand nous
vivons en lui et qu'il vit en nous, quand nous atteignons la
plénitude de notre être dans la vérité de cette réciprocité
biblique (le Christ en nous et nous dans le Christ), quand le
Christ réalise en nous l'union mystique, alors le Christ porte
l'essence mystique du christianisme à sa perfection, en nous et à
travers nous.
Nous avons essayé de tracer la voie qui conduit à la
réalisation de l'essence mystique du christianisme. Elle commence
par la pratique élémentaire, passe par la pratique des
progressants, dans l'espoir de s'accomplir dans la pratique
parfaite du Christ en nous. J'aimerais terminer cet exposé en
suggérant quelques possibilités concrètes qui nous permettront
peut-être de parvenir à l'essence mystique du christianisme. Nous
n'oublions pas, en les proposant, qu'il s'agit non d'une théorie
mis d'une pratique. La Voie n'est pas un sujet d'étude mais une
invitation à la parcourir.
a) Un premier exemple : la pratique de la foi. En fait, la foi
n'est pas l'assentiment à certaines affirmations d'ordre
religieux, ou à des dogmes. C'est la confiance qu'on accorde à ces
affirmations, le désir de se laisser guider par elles. Car le
dogme, c'est-à-dire la description de la voie que Dieu nous
dessine pour que nous puissions le rejoindre, description reçue et
retransmise par la communauté des chrétiens, ne demande pas une
soumission aveugle impliquant pour certains un sacrifice
intellectuel, mais un acte de confiance et de courage prêt à se
lancer dans l'aventure.
La pratique élémentaire de la foi/confiance consiste
précisément à se lancer, à faire confiance aux rites qui
promettent de nous mettre en contact avec le Christ, Source de la
vie, à nous laisser porter par les rites au-delà du monde sensible
vers la communion spirituelle avec la Source. La pratique
élémentaire de la foi consiste aussi à faire confiance à la
prière, à la prière d'adoration qui nous met en contact avec la
Source, à la prière de supplication où nous exposons nos besoins
et nos désirs à la Source de la vie qui seule est en mesure de les
satisfaire, à la prière d'action de grâces, enfin, qui nous fait
comprendre que tout ce que nous avons, dans le monde matériel
autant que dans la spiritualité, n'est rien que grâce, cadeau, qui
nous rappelle notre dépendance et qui requiert notre
gratitude.
Quand la pratique élémentaire de la confiance passe à un niveau
plus élevé – ou plus profond –, au niveau de la spiritualité ou
des progressants, nous vivons en communion avec le Christ. Nous
vaquons certes à nos travaux et nous assumons les responsabilités
dont la famille et la société nous chargent, mais nous avons le
sentiment que la Source de la vie nous accompagne et nous rend
aptes à répondre aux attentes des autres. Au milieu de ces
activités, nous prenons volontiers du recul ; en fermant les yeux
nous nous mettons en rapport avec la Vie, nous remémorant la
Parole du Christ nous promettant que les besoins et les désirs de
celui qui fait confiance sont d'ores et déjà accordés.
Ainsi la confiance des progressants nous conduit petit à petit
à la confiance pur qui est celle du Christ lui-même. Plus besoin
de faire confiance ! la possibilité même de faire confiance nous
est enlevée. Le Christ étant confiance en nous, nous ne sommes
plus que confiance, mais confiance en lui, par lui et pour
lui.
b) L'amour de Dieu. C'est un thème que les mystiques de toutes
les religions, non seulement au sein du christianisme, ont
abondamment analysé et pratiqué. Voici très rapidement quelques
repères.
Tous les mystiques et tous les spirituels sont d'accord pour
dire qu'au niveau élémentaire, le fidèle aime Dieu à cause de tous
les biens qu'il reçoit de lui. A ce niveau, l'amour s'exprime par
la joyeuse, amoureuse et reconnaissante participation aux
manifestations de l'institution religieuse ou ecclésiale : aux
rites, aux fêtes, à la vie de la communauté en général.
Au deuxième niveau, celui des progressants, l'amour pour Dieu
est stimulé et porté à son sommet par la contemplation des beautés
de Dieu et des clartés de son être divin. Le chrétien aimera à
vivre, en une intimité grandissante, lumineuse et secrète de la
Trinité, l'éternelle communion du Père et du Fils dans et par le
Saint Esprit, la Source plénière de la Vie en Dieu.
Quand la pratique deviendra non-pratique parce qu'elle sera
celle de la Vie divine, le chrétien sera enveloppé d'amour : il
n'aimera plus parce que c'est Dieu qui aimera en lui et à travers
lui.
c) Même progression en ce qui concerne la connaissance (ou
n'importe quelle autre attitude morale ou religieuse).
La connaissance de Dieu, au niveau élémentaire : connaissance
objectivante, à partir de l'enseignement reçu, ou des textes
sacrés ou de l'expérience.
Niveau intermédiaire : connaissance théologique, intellectuelle.
Connaissance lumineuse des grandes vérités de la tradition
chrétienne. L'effort théologique est un exercice en
spiritualité !
Niveau ultime : absence de connaissance discursive. Obtention de
la Connaissance, de la Gnose, Connaissance pure, au-delà de
l'opposition sujet-objet.
Cf. la prière du pasteur César Boissier (1808-1877) qui évoque
merveilleusement le passage du niveau élémentaire jusqu'à l'union :
(ancien Psautier romand no. 331)
« Je ne veux plus l'ombre qui passe, l'image qui pâlit
Mais la substance de ta grâce, toi-même, ton Esprit.
Je veux brûler, mais de ta flamme ; luire, mais de ton jour ;
Te ton âme animer mon âme ; aimer, de ton amour.
Voici le seul bien que j'envie, que j'implore, ô mon Roi :
Ne plus vivre que de ta vie, que par toi, que pour toi. »
Souhaitons que ces voeux se soient réalisés pour César
Boissier. Et qu'ils soient formés, vécus et réalisés par beaucoup
de chrétiens, aujourd'hui et demain.